Niger : au-delà de la transition démocratique, les enjeux du nouveau gouvernement

Le président-élu nigérien Mohamed Bazoum prend officiellement ses fonctions vendredi, lors de la première transition démocratique au Niger. Pour le nouveau gouvernement, les enjeux ne manquent pas dans ce pays parmi les plus pauvres du monde, qui fait face à une recrudescence d’attaques jihadistes. Entretien.

 

Le Niger s’apprête à vivre la première transition démocratique de son histoire. Le président-élu Mohamed Bazoum a pris officiellement ses fonctions, vendredi 2 avril, succédant à Mahamadou Issoufou, qui avait atteint la limite des deux mandats réglementaires. Un moment historique pour ce pays qui a connu quatre coups d'État militaires depuis son indépendance de la France en 1960.  

Si la Cour constitutionnelle a validé la victoire du candidat du pouvoir, avec 55 % des suffrages lors du scrutin du 21 février, son rival au second tour, l’ancien président Mahamane Ousmane, a dénoncé des fraudes et de violentes manifestations ont secoué le pays. Deux jours avant la prestation de serment, alors que le calme semblait être revenu, le gouvernement a annoncé qu’une "tentative de coup d'État" militaire avait été déjouée dans la nuit du 30 mars, conduisant à plusieurs arrestations.  

Au risque d’instabilité politique s’ajoutent des enjeux sécuritaires et sociaux majeurs pour le nouveau président Mohamed Bazoum, avec une recrudescence d’attaques jihadistes à la frontière malienne, une pauvreté endémique qui ronge le pays et le taux de natalité le plus élevé au monde. Pour analyser les grands chantiers de la nouvelle présidence, France 24 s’est entretenu avec Ornella Moderan, cheffe du programme Sahel à l'Institut d'études de sécurité (ISS Africa), en mission à Niamey.    

 

France 24 : L’opposition conteste la victoire de Mohamed Bazoum et le gouvernement a dénoncé une tentative de coup d’État militaire. Le Niger risque-t-il de basculer dans une nouvelle crise politique ?  

Ornella Moderan : Le risque d’instabilité politique a toujours existé au Niger. Mais il faut bien distinguer la contestation politique de la tentative de coup d’État rapportée par le gouvernement. La contestation politique n’est pas une surprise car il existe une forte rivalité historique entre le président sortant Mahamadou Issoufou et le candidat de l’opposition Mahamane Ousmane, et il est  particulièrement pénible pour ce dernier de perdre face au dauphin de son rival. À l’annonce des résultats préliminaires, de violentes manifestations ont éclaté, mais lorsque la Cour constitutionnelle a validé le résultat final, il n’y a pas eu une nouvelle explosion de contestations comme on aurait pu s’y attendre. L’opposition continue de revendiquer la victoire mais elle appelle à des rassemblements pacifiques.  

Malgré tout, le climat politique reste tendu avec plusieurs opposants politiques en prison, dont Hama Amadou, accusé d’avoir joué un rôle dans les troubles post-électoraux de février. Ce dernier a été déchu de ses droits civiques à cause d’une affaire de trafic de bébés jugée en 2017. Pour ses partisans, il s’agit d’une manipulation politique et les discussions sont rompues entre le pouvoir et l’opposition depuis cette époque, ce qui pose un réel problème démocratique dans le pays.  

Pour ce qui est de la tentative de coup d’État annoncée par le gouvernement, il semblerait qu’une frange de l’armée, mécontente de l’accession au pouvoir de Mohamed Bazoum, soit intervenue pour prendre le pouvoir. Il s’agirait d’un petit groupe de militaires, selon les témoins. Une enquête a été ouverte, des arrestations ont eu lieu mais il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions.  

Le pays fait face à une recrudescence d’attaques jihadistes, notamment dans l’ouest près de la frontière avec le Mali. Le nouveau président affirme que ces mouvements n’ont pas d’ancrage au Niger, partagez-vous ce point de vue ?  

C’est une vision très commune au Niger de considérer que ces problèmes viennent de l’étranger. Pour autant, nous assistons depuis quelques années à une réelle dégradation de la situation sécuritaire dans l’ouest du pays, longtemps plus calme que les zones du Mali et du Burkina Faso où sévissent les groupes jihadistes.   

La situation a changé à partir de 2018, avec une campagne d’intimidation et d’élimination des représentants locaux de l’État, dont des maires et des chefs de cantons. L’année suivante, ce sont les forces de défense et de sécurité déployées sur la zone suite à ces premières attaques qui ont été visées. Plus de 150 militaires sont morts en décembre 2019 et janvier 2020 lors des attaques à Inates et Chinégodar. Enfin, aujourd’hui, nous assistons à une campagne meurtrière qui vise les civils avec une attaque en janvier, dans la région de Tillabéri, et deux attaques en mars menées sur la base d’un ciblage ethnique près de Banibangou et dans le département de Tillia. Ces exactions sont particulièrement inquiétantes car elles posent un réel risque d’escalade communautaire.  

Ce type d’insécurité, que l’on ne connaissait pas jusque-là au Niger, montre que l’ancrage local jihadiste se renforce. L’argument qui vise à dire qu’il s’agit d’un problème malien avec des bases arrière à la frontière ne tient plus.   

Le classement du développement humain des Nations unies place le Niger en dernière position au niveau mondial avec des indicateurs sociaux “très faibles”. Quelles doivent être les priorités dans ce domaine ?  

La pauvreté est bien sur un problème majeur mais c'est avant tout la question du développement humain et des perspectives offertes à la population qui doit être traitée. Le nouveau président considère que l’éducation des filles est une priorité pour réduire le taux de natalité. C’est le plus élevé au monde et il pose un problème majeur, dans un contexte économique qui ne permet pas de fournir les services de bases adéquats à la population, comme l’approvisionnement en eau et en électricité. Le président souhaite notamment prendre des mesures pour repousser l'âge du mariage et de la première maternité. C’est un discours important, mais qui devra être jugé à sa mise en œuvre car il va se heurter à des pratiques sociales et culturelles très ancrées.  

L’accès des jeunes à l’emploi est aussi une question majeure avec une population très nombreuse, pas toujours bien formée, dans un marché national largement rural. La lutte contre la corruption est également un aspect important, avec notamment un scandale de détournement de fonds au ministère de la Défense qui a fait beaucoup de bruit dans le pays. Dans un État aux ressources limitées et aux besoins importants, ce type d’affaires crée beaucoup de frustrations. 

Enfin, il y a la question de la bonne gouvernance. Il existe au Niger un décalage de représentation démocratique entre la classe politique, quasi-exclusivement composée d’hommes arrivant à l'âge de la retraite, et la majorité de la population composée de femmes et de jeunes. À titre d’exemple, sur les 30 candidatures validées pour la dernière élection présidentielle, il n’y avait aucune femme. L'inclusion des femmes et des jeunes dans la vie publique et politique, pour mieux refléter le profil démographique du pays, constitue un défi important pour le nouveau président.   

 


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