Quatre ans après les accords de paix, la Colombie toujours en proie à la violence

La Colombie s'apprête à célébrer le quatrième anniversaire des accords de paix entre le gouvernement et la guérilla des Farc mais le pays connaît une augmentation alarmante des violences contre les civils, avec des assassinats de leaders locaux et d'anciens combattants. France 24 dresse un bilan de ces accords de paix en péril.

Il est 13 h lorsque la grenade explose en plein combat de coqs. Un groupe armé fait ensuite son entrée et tire sur les personnes présentes dans le bâtiment. Cette attaque du 20 septembre, survenue dans la ville de Buenos Aires, dans le sud-ouest de la Colombie, a fait au moins sept morts. C'est le soixantième massacre survenu dans le pays en 2020.

C'est sur ce constat meurtrier que la Colombie s'apprête à célébrer, samedi 26 septembre, le quatrième anniversaire de l'accord de paix de La Havane entre le gouvernement et les Farc, alors la plus ancienne et la plus puissante guérilla en activité. Cependant, la promesse de la fin des violences et du retour de l'État dans les zones les plus affectées par le conflit semblent mises à mal par la réalité : au moins 515 militants, 204 signataires du pacte et 44 de leurs proches ont été assassinés. Et, malgré les efforts et les millions investis dans la lutte contre le trafic de drogue, la Colombie continue de produire les deux tiers de la cocaïne qui circule dans le monde.

À mi-mandat, le gouvernement d'Iván Duque est accusé par l'opposition d'entraver la bonne marche des accords. Son parti, le Centre démocratique, s'était opposé au référendum sur l'accord de paix d’octobre 2016. La victoire de ce dernier avait eu pour conséquence la modification des textes et une seconde signature en novembre. Sous ce gouvernement de droite, les autres groupes armés illégaux et ceux qui se sont formés sont parvenus à consolider leur emprise sur les territoires, profitant notamment de l'isolement causé par la pandémie de Covid-19.

 

La lutte armée de certains groupes se poursuit

Selon la Mission de vérification des accords de paix des Nations unies, les organisations criminelles "ont profité de la quarantaine pour renforcer leur contrôle sur les itinéraires stratégiques du trafic de drogue" et le pouvoir de ces groupes est tel qu'à différents endroits, ils ont mis en place des contrôles et attaqué des personnes, qui ne se conformaient pas à leurs règles.

Jorge Restrepo, du Secrétariat de vérification technique des accords de paix, souligne que, malgré la réapparition de groupes armés, l'accord qui visait à pacifier les Farc reste un succès : "Ce conflit est terminé. La violence a été considérablement réduite par rapport à ce que la Colombie connaissait avant le processus de paix. Demander à l'Accord de mettre fin à l'ensemble des conflits, c'est trop lui demander", explique-t-il à France 24.

Emilio Archila, du conseil présidentiel pour la stabilisation et la consolidation, défend un point de vue similaire : "L'idée qu'un accord avec une seule des guérillas pouvait suffire pour parvenir à une paix durable en Colombie était un mensonge", note-t-il, interrogé par France 24. "Pour y parvenir, il faudrait prendre des mesures contre les trafiquants de drogue, les guérilleros de l'ELN (Armée de libération nationale) et les cartels mexicains qui veulent s'implanter en Colombie."

La sous-région de Catatumbo, limitrophe du Venezuela, est un exemple de la manière dont les accords de paix ont bouleversé la dynamique entre les groupes armés. Après que les anciens guérilleros ont déposé les armes, l'affrontement entre deux groupes armés restants a conduit l'un d'eux à migrer vers le département du Cauca – où se trouve Buenos Aires – à plus de 1 000 kilomètres, dans une zone déjà conflictuelle. La situation de Cauca en fait un objet de convoitises pour les organisations illégales : c'est une région productrice de coca, possédant un débouché sur l'océan Pacifique et relié au reste du pays via des rivières et des montagnes utiles à la contrebande.

Ces combats pour ce territoire font des victimes collatérales : les civils. Soixante-douze attaques ont visé les habitants du Cauca, selon le Bureau du médiateur, l'institution gouvernementale qui veille au respect des droits de l'Homme. C'est aussi le département où le plus de militants ont été assassinés depuis la signature des accords : neuf des 47 meurtres recensés lors du premier trimestre de 2020 y ont eu lieu, selon l'association Somos Defensores.

La violence dans les sous-régions, qualifiées de prioritaires dans l'Accord de paix, a augmenté de 25 %, contre 2 % à l'échelle du pays.

Les anciens combattants sont visés

Outre la population civile, les assassinats des groupes visent particulièrement les anciens combattants : 200 anciens membres des Farc ont été tués depuis la signature de l'accord, selon les données de la Mission de vérification des Nations unies.  

Le risque pour les ex-combattants est si élevé que nombre d'entre eux ont dû abandonner leurs projets pour rejoindre la vie civile : "Le gouvernement traite la question de la sécurité et des déplacements forcés avec des délais très administratifs et non avec l'urgence qu'il faudrait", critique Laura Villa, membre du conseil national du parti politique Farc (Force alternative révolutionnaire commune) créé sur les restes de la guérilla.

La peur a poussé plus de 9 500 anciens combattants à quitter les territoires où l'accord de paix les plaçaient sous protection du gouvernement. Or, c'est en dehors de ces territoires qu'ont eu lieu la très grande majorité des assassinats. En réaction, la Mission des Nations unies a recommandé au gouvernement de renforcer la sécurité des ex-guérilleros. Le parti Farc a réclamé, devant la Commission interaméricaine des droits de l'Homme, des mesures pour sa protection.

Le gouvernement Duque freine-t-il le processus de paix ?

Pour les opposants au gouvernement, le problème est clair : Ivan Duque rechignerait à mettre en place les accords de paix signés par son prédécesseur.

La députée Juanita Goebertus (parti vert, centre) a déclaré dans plusieurs médias que ce gouvernement n'avait pas la volonté politique de mettre en œuvre ces accords et que cela se traduisait dans le budget. Même si le financement du processus de paix augmentera de 9 % en 2021, Juanita Goebertus dénonce le fait que plusieurs institutions indispensables seront lésées.

Sur ce sujet, Emilio Archila, du conseil présidentiel, répond qu'il est nécessaire d'élever le débat : "On ne peut pas simplifier ce débat à 'le gouvernement ne veut pas avancer et détruire les accords'. Ce n'est ni ce qui se passe, ni ce qui s'est passé", affirme-t-il.

Ivan Duque est poursuivi par les propos qu'il avait tenus en 2017 avant sa campagne présidentielle. Lui et les membres de son parti avaient affirmé que leur objectif électoral était de "déchirer" l'accord avec les Farc. Depuis sa candidature, il est revenu sur ses propos, assurant qu'il ne souhaitait pas mettre fin aux accords mais y apporter d'importantes modifications.

La difficulté de stopper la production de coca

Une des modifications qu'Ivan Duque a souhaité introduire aux accords de La Havane est l'éradication forcée de la coca, alors que le texte de base préférait une substitution volontaire. Elle a été une des priorités de son début de mandat. En 2019, les autorités ont détruit 94 606 hectares de coca, soit le double des 41 500 hectares volontairement éradiqués entre 2016 et 2019, selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime.

Le président a même porté l'objectif d'éradication pour 2020 à 130 000 hectares, malgré le fait que les organisations et le bureau du Médiateur lui aient demandé de donner la priorité à la substitution volontaire. Cependant, Ivan Duque bénéficie du soutien des États-Unis :

"Les États-Unis sont là pour aider en partageant leurs ressources, leur expérience, et nous applaudissons le travail qui a été fait", a ainsi affirmé Mike Pompeo, lors de sa dernière visite en Colombie, ajoutant que son pays continuera à "soutenir l'éradication des cultures". Cette alliance soutient également les intentions du gouvernement colombien de réactiver la pulvérisation aérienne.

Des avancées dans certains domaines

Le tableau n'est pas tout noir pour le gouvernement Duque. Dans certains domaines, à commencer par la réinsertion des anciens combattants, Alors que Juan Manuel Santos avait quitté sa mandature en ne laissant qu'un seul projet financé pour le retour à une vie normale des anciens guérilleros, on recense actuellement 1 531 projets financiers bénéficiant à plus de 4 600 anciens insurgés.

Autre action à mettre au crédit du gouvernement Duque : les 24 lieux de réinsertion pour les anciens combattants Farc ont vu leur garantie légale être prolongée, alors que les accords ne les garantissaient que jusqu'en août 2019.

Des voix s'élèvent cependant pour nuancer ces avancées que revendique l'administration Duque, soulignant notamment que 71,3 % des ex-combattants n'ont toujours pas de programme financé par les autorités, selon le dernier rapport de la Commission du Congrès pour la Paix.

Par ailleurs, le gouvernement colombien a privilégié le financement de projets individuels, qui a bénéficié à 16,6 % des anciens guérilleros, tandis que l'ancienne guérilla farc préfère miser sur les programmes collectifs.

"L'approche individuelle est insoutenable dans la durée. On donne deux vaches et on s'en va. Notre vision de la réinsertion serait de miser sur des processus d'économie solidaire, développant la communauté", explique Laura villa, du parti Farc.

Jorge Restrepo, du Secrétariat de Vérification technique des accords de paix, résume simplement le bilan d'Ivan Duque : des avancées certes mais seulement dans les domaines qu'a priorisés le chef de l'État.


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