Les drôles de chiffres de la croissance chinoise en pleine pandémie de Covid-19

La pandémie de Covid-19 ne devrait pas empêcher la Chine d’être la seule puissance économique à connaître une croissance positive en 2020. C’est du moins ce que suggère la forte hausse du PIB au troisième trimestre. Mais la fiabilité de ces données est remise en cause, suggérant une volonté des autorités chinoises de prendre des libertés avec la réalité économique alors que Pékin prépare son nouveau plan quinquennal.

 

C’est fort d’un taux de croissance de 4,9 % au troisième trimestre que la Chine élabore, à partir de lundi 26 octobre, sa nouvelle feuille de route économique pour les cinq prochaines années. Le comité central du Parti communiste chinois pouvait difficilement rêver indicateur plus flatteur pour lancer le chantier de son prochain plan quinquennal, alors que le reste du monde est économiquement décimé par la pandémie de Covid-19.

Cette hausse du PIB enregistrée entre juillet et septembre 2020 vient confirmer les bons résultats du deuxième trimestre, durant lequel l’économie chinoise avait déjà connu une croissance de 3,2 %, selon les données officielles. Pékin semble donc sur la bonne voie pour être la seule puissance économique de premier plan à réussir l’exploit d’avoir une croissance annuelle positive malgré la crise sanitaire. Le PIB chinois devrait croître de près de 2 % en 2020, contre une récession de 4,9 % aux États-Unis, de 9,8 % en France ou encore de 6 % en Allemagne.

Trop beau pour être honnête

Ces bons résultats viennent conforter la rhétorique officielle du régime, qui n’a de cesse de vanter la résilience de l’économie chinoise malgré un choc initial très violent (une chute du PIB de 6,9 % au premier trimestre). Ces chiffres semblent aussi valider la politique menée par le dirigeant chinois, Xi Jinping, qui avait imposé, en début d’année, des mesures draconiennes pour contenir la propagation du coronavirus sur son territoire.

 

Mais ce tableau apparaît trop beau pour être honnête, selon plusieurs économistes. “Les chiffres de la croissance ne semblent pas coller”, écrit le quotidien britannique The Guardian, qui a interrogé plusieurs analystes. Des ajustements pour rendre les chiffres de 2020 plus séduisants. “Certaines données pour calculer la performance économique en septembre 2019 semblent avoir été reportées sur octobre, ce qui a pour conséquence de doper artificiellement les résultats de septembre 2020 par rapport à l’an dernier”, note Nick Marro, analyste en chef de l’Economist Intelligence Unit, un cabinet britannique de conseil économique, contacté par The Guardian.

Cette cuisine statistique interne n’aurait, cependant, pas eu d’impact majeur sur les chiffres de la croissance, estime Nick Marro. Les incohérences dans la manière de comptabiliser les investissements dans les infrastructures apparaissent beaucoup plus troublantes. Des milliards de yuans (plusieurs centaines de millions d’euros) injectés dans des projets d’infrastructure en 2019 semblent avoir disparu des données officielles, ce qui a permis à Pékin de rendre compte d’une hausse des investissements depuis le début de l’année 2020 qui apparaît douteuse à Leland Miller, directeur de China Beige Book Consultancy, un cabinet américain d’analyse des données sur l’économie chinoise. “On ne parle pas là d’arrangement à la marge avec la réalité”, assure-t-il au Guardian.

“Arithmétiquement impossible”

Ces critiques à l’égard des données officielles ne sont pas isolées. Des observateurs avaient déjà remis en cause le rebond de l’économie chinoise au deuxième trimestre. “Il n’y a eu aucune croissance chinoise au deuxième trimestre”, avait affirmé en juillet Derek Scissors, spécialiste de l’économie chinoise pour l’American Enterprise Institute, un think tank conservateur basé à Washington. 

Il ne croyait en aucun cas aux chiffres avancés par Pékin. Une hausse de la production industrielle de 4,8 % en juin 2020 par rapport à la même période l’an passé ? Difficilement envisageable alors que “seulement 60 % des entreprises avaient rouvert leurs portes”, a-t-il souligné dans un blog de post publié en juillet dernier. Idem pour le secteur des services - tourisme, restauration, divertissements - qui affiche, officiellement, une progression de près de 2 % par rapport à 2019. “C’est arithmétiquement impossible à réaliser alors que plus de 10 % des entreprises de ce secteur n’avaient pas encore repris leurs activités fin juin”, estime-t-il.

La remise en cause des chiffres de la croissance chinoise est presque une discipline économique à part entière depuis le début des années 2000. “Il n’y a aucune transparence dans les statistiques officielles et il faut les manier avec des pincettes car on ne sait pas précisément comment elles sont construites”, explique Mary-Françoise Renard, directrice de l'Institut français de recherche sur l'économie de la Chine (Idrec), contactée par France 24.

Il n’empêche que malgré les nécessaires précautions à prendre, il ne fait guère de doute, pour cette experte, que l’économie chinoise “tourne à nouveau”. Et probablement mieux qu’ailleurs : “les exportations chinoises - notamment de produits sanitaires - ont sensiblement augmenté depuis le début de l’année”, précise-t-elle.

Redorer le blason et encourager le sentiment nationaliste

Mais si l’économie chinoise se porte, de toute façon, mieux que celle des autres grandes puissances, quel besoin d’embellir encore davantage les statistiques ? La raison principale tient au contexte international, assure Mary-Françoise Renard. “La Chine a, pour l’instant, l’image du pays d’où est partie la pandémie de Covid-19 et Xi Jinping veut utiliser l’économie pour redorer le blason national”, estime-t-elle. Démontrer que Pékin peut toujours jouer son rôle de moteur de la croissance mondiale doit permettre, pour le dirigeant chinois, d’améliorer le climat de “défiance à l’égard de la Chine qui s’est installée sur la scène internationale”, note l’économiste.

C’est aussi une manière de faire les yeux doux aux entreprises étrangères. La crise sanitaire et l’interruption des échanges mondiaux ont démontré les risques de trop dépendre de la Chine pour son approvisionnement. “Il y a un réel danger car certains pays ont commencé à relocaliser leurs entreprises hors de Chine, et en affichant des performances économiques particulièrement flatteuses, Pékin espère convaincre ces groupes que le marché chinois est celui qui présente le plus d’opportunités”, explique Mary-Françoise Renard.

Mais Xi Jinping ne cherche pas seulement à rassurer sur la scène internationale. Cette manière d’exagérer les performances économiques visent aussi à favoriser le sentiment nationaliste de la population chinoise. “L’autoritarisme du régime s’appuie sur ce nationalisme et les bonnes performances économiques donnent à l’opinion publique l’impression que le pays est sur la bonne voie pour devenir la première puissance mondiale”, juge la directrice de l’Idrec.

C’est, enfin, une manière de dire : circulez, il n’y a rien à voir. La bonne santé économique doit faire taire d’éventuelles remises en cause des choix économiques de Xi Jinping. C’est particulièrement utile alors que Pékin va se doter d’un nouveau plan quinquennal censé refléter les nouvelles priorités du dirigeant chinois. 

Ce nouveau programme économique est censé permettre à la Chine de diminuer sa dépendance envers les exportations et de faire de la consommation intérieure le moteur principal de la croissance. Pourtant, “l’économie chinoise a des problèmes structurels qui empêchent la consommation de repartir”, assure Mary-Françoise Renard. Elle cite le niveau des dettes des entreprises et l’absence de filet de sécurité sociale qui pousse la population à épargner pour la retraite et la santé comme des exemples de freins à la consommation. Mais dans l’euphorie de 4,9 % de croissance qui va pinailler sur ce genre de détails ?


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